Alors que les équipes taiwanaises de basketball ont connu des succès et des échecs, l’enthousiasme des insulaires pour ce sport ne s’est jamais démenti…
Demandez à n’importe qui à Taiwan quel est le sport national dans l’île. Sans hésitation, il vous répondra le base-ball. La récente qualification de l’équipe nationale aux Jeux olympiques de Pékin et les performances du fameux Wang Chien-ming [王建民], le très célèbre pitcher des New York Yankees, n’ont fait que renforcer la popularité de ce sport dans l’île. Mais si l’on se réfère aux récentes statistiques officielles, le basket est plus pratiqué par les Taiwanais. Après la marche à pied qui arrive en première position, suivie du jogging, le basket se classe en troisième position alors que le base-ball n’arrive qu’à une lointaine onzième place.
Introduit par les Japonais au début du XXes., le base-ball était devenu le sport le plus pratiqué sur l’île. C’est après l’arrivée du Kuomintang à Taiwan que le basket se répandit dans toutes les couches de la société. « Le gouvernement attachait une grande importance au basket », raconte Wang Jen-sen [王人生], le vice-secrétaire général de l’Association de basket-ball Taipei chinois (CTBA). Les militaires de haut rang adoraient regarder les matchs et les équipes issues de l’armée étaient nombreuses à participer aux tournois locaux. Les terrains de basket se multiplièrent, et en 1950, le tournoi de la province de Taiwan, la compétition alors la plus en vue, ainsi que la Coupe Jie-Shou, le championnat de la Liberté et de la Jhong-jheng furent des compétitions extrêmement suivies. A cette époque, il fallait faire la queue pendant deux jours pour avoir des places.
« LE BASKET EST UN SPORT SIMPLE, PRATIQUE ET ÉCONOMIQUE. TOUT CE DONT VOUS AVEZ BESOIN, C’EST D’UN BALLON ET D’UN PANIER »
Taiwan quitta la fédération internationale de basket-ball (FIBA) en 1975 du fait du conflit de souveraineté avec la Chine mais fit tout pour maintenir sa présence dans la communauté internationale du basket. Dans cet objectif, l’île créa le tournoi international William Jones qui démarra dès 1977. Dès la première édition, un grand nombre d’équipes nationales et de clubs régionaux y participèrent, et ceux qui se souviennent des queues interminables devant les billetteries peuvent témoigner de l’engouement des insulaires pour ce sport. L’île retrouva sa présence à la FIBA en 1981 mais sous le nom de « Taipei chinois ». Malgré la désaffection des fans pour ces compétitions, le tournoi William Jones fêtera cette année son 31e anniversaire au mois de juillet.
Les tournois interuniversitaires
Avec près de 90% des campus et des écoles équipés de terrains, le basket est le sport le plus pratiqué par la jeunesse de l’île. C’est aussi celui-ci que le ministère de l’Education a choisi de promouvoir dans les compétitions interuniversitaires. L’Alliance pour le basket-ball universitaire (UBA) a été créée en 1987, suivie par la Fédération lycéenne de basket-ball en 1988 (HBL). Ces vingt dernières années, le nombre d’équipes inscrites à l’UBA est passé de 105 à plus de 230, avec plus 3 500 joueurs. Au sein de la HBL, c’est plus de 320 équipes avec leurs 90 000 joueurs qui s’affrontent dans les tournois.
Lee Yi-shen [李亦伸], un chroniqueur sportif qui collabore à RoundBallCity.com, pense qu’à l’inverse de ce qu’on peut constater pour le base-ball, la popularité du basket ici ne s’explique pas par les performances des Taiwanais dans les tournois internationaux. Au contraire, poursuit Lee Yi-shen, la dernière participation de l’équipe nationale aux Jeux olympiques date de 1960 à Rome. Et malgré le démantèlement en 1999 de l’unique fédération professionnelle de l’île, les terrains municipaux ainsi que ceux des écoles et des campus ne désemplissent pas. « Le basket est un sport simple, pratique et, économique. Tout ce dont vous avez besoin c’est d’un ballon et d’un panier », dit Lee Yi-shen. Wang Jen-sen ajoute que tout ce qui fait le basket réside dans l’esprit d’équipe et l’intelligence du jeu. « La dimension ludique et le sens du dépassement de soi à travers le jeu sont les principaux facteurs de sa popularité », explique-t-il.
La CBA et la Fédération semiprofessionnelle de basket-ball (SBL) n’ont pas été les seuls instruments au service de la promotion de ce sport. Quand la formule 3 contre 3 se popularisa, dans le milieu des années 80, Wang Jen-sen tenta de sortir ce style de jeu de la rue où il s’était épanoui pour en faire une discipline professionnelle. Pour y parvenir, il en codifia les règles au sein d’un livret, ce qui permit d’organiser, en 1988, avec la collaboration de la CTBA, la première compétition à l’échelle nationale. Avec le temps, la formule 3 contre 3 devint une véritable mode et les programmes de télévisions qui y sont consacrés sont toujours très regardés.

AIMABLE CREDIT DE CTBA En 2003, ambiance de feu pour le premier match de la SBL.
Une audience déclinante
Assister à des matchs professionnels ou semi-professionnels n’est cependant plus à la mode. En 1999, après la dissolution de l’équipe nationale, la SBL recommença à organiser des matchs avec pour objectif de renouer avec les succès des années 50 et 80, mais si les vieux fans étaient au rendez-vous, avec quelques nouveaux spectateurs, cela ne fut pas vraiment un succès.
Enquist Chuang [莊瑋民], le responsable de l’équipe des Taiwan Beer, championne de la SBL depuis deux saisons, raconte que 76 personnes seulement ont assisté aux matchs du mois de février dernier, ce qui lui a fait prendre conscience de l’ampleur de la crise à laquelle est confrontée la fédération de basket semi-professionnel. Pour lui, c’est le mode de promotion qui pose problème : « Le marketing de la SBL est beaucoup trop semblable à celui utilisé pour l’industrie des loisirs, avec l’accent mis sur le physique des joueurs et leurs exploits », regrette-t-il. La SBL tente aujourd’hui d’attirer un public plus féminin, qui traditionnellement n’assiste pas aux matchs, et Enquist Chuang considère cette stratégie comme mauvaise dans la mesure où la fédération ne fait pas assez pour fidéliser les vrais fans. « On a même vu certaines filles venir aux matchs uniquement pour avoir l’autographe d’un joueur, et repartir une fois la précieuse signature obtenue ! »
Les matchs de la SBL sont rediffusés sur la chaîne de télévision sportive ESPN. Ce n’est cependant pas le cas pour ceux de la Fédération du basket-ball féminin (WSBL), qui intéressent peu les médias. Cela n’empêche pas les joueuses insulaires d’être performantes et d’obtenir de meilleures qualifications que celles des hommes. Elles ont même remporté une médaille d’argent aux 15es Jeux asiatiques de Doha en 2006, la première pour Taiwan. Pour Lee Yi-shen, le basket féminin attire peu dans la mesure où les femmes ont un jeu moins rapide, moins puissant et spectaculaire que les hommes. D’autres considèrent cependant qu’avec un effort des pouvoirs publics, l’attention portée aux équipes féminines pourrait se développer.

Les filles aussi aiment le basket.

AIMABLE CREDIT DE CTBA Aux Jeux asiatiques, de Doha en 2006, les Taiwanais ont gagné une médaille d’argent en basket.
Temps morts sur le câble
Lee Yi-shen remarque qu’avec l’accès aux chaînes câblées qui s’est démocratisé (80% des foyers en sont équipés), les téléspectateurs ont maintenant un choix beaucoup plus large en matière de matchs de basket et naturellement, les fans préfèrent regarder à la télé ceux de la National Basketball Association aux Etats-Unis (NBA) dont le niveau est toujours élevé et le spectacle garanti, plutôt que de se déplacer pour les matchs de la SBL ou de la coupe Williams Jones.
Richard Yen [閻家驊], président de l’Association de basket-ball de la fédération d’athlétisme de la ville de Taipei, également entraîneur des Taiwan Beer, évoque deux problèmes majeurs auxquels est confrontée la SBL : l’absence de stades vraiment adaptés au basket et la trop grande disparité de niveaux de jeu. Après l’incendie du stade de Taipei en 1989 et la démolition, l’année dernière, de celui de l’université d’Education physique de Taipei, la plupart des matchs de la SBL doivent avoir lieu au stade de Hsinchuang, dans le district de Taipei. Une banlieue éloignée et mal desservie, ce qui décourage un peu plus les spectateurs.
La disparité de niveaux est l’autre problème qui rend les matchs de la fédération assez ennuyeux, avec certaines équipes qui dominent tellement que les rencontres se transforment vite en punition pour l'adversaire. Les Yulon Dinos attirent les meilleurs joueurs grâce au soutien financier du constructeur automobile Yulon. Les Dinos ont été champions en titre pendant trois saisons avant de céder devant les Taiwan Beer.
Pour Richard Yen, les jeunes générations ne sont pas assez persévérantes. Dans le passé, les joueurs travaillaient dur pour progresser, mais aujourd'hui, «les jeunes ne cherchent pas autant à repousser leurs limites». Enquist Chuang explique le phénomène par l'influence de l'éducation traditionnelle, encore forte dans la société, et qui n'accorde pas de valeur à la réussite sportive. Les parents n'encouragent pas leurs enfants à devenir des athlètes, déplore-t-il, tandis que le système éducatif ne propose pas assez d'heures d'entraînement.
Lee Yi-shen suggère de son côté que l'Etat subventionne les entreprises qui soutiennent des équipes et investisse davantage dans les infrastructures sportives. Il pense aussi que chaque école devrait développer son propre domaine d'expertise sportive avec le soutien du ministère de l'Education. Les entraîneurs professionnels devraient pouvoir aussi intervenir dans les collèges et lycées pour encourager les talents et ceux dont le potentiel est le plus prometteur. Wang Jen-sen, lui, s'est rendu compte que la plupart des meilleurs joueurs de la SBL sont d'origine aborigène, comme Lin Chih-jeh [林志傑] et Yang Chin-min [楊敬敏] des Taiwan Beer ou encore Wang Chih-chun [王志群], des Dacin Tigers. Il pense que la découverte de nouveaux talents dans cette communauté pourrait aider à relancer la SBL à condition qu'ils soient bien entraînés.
Ces difficultés n'empêchent pas Lee Yi-shen d'être optimiste quant à une réorganisation future du basket professionnel. Même si la SBL est condamnée à disparaître, il reste persuadé que d'autres prendront la relève et que les nouvelles générations sauront mettre leur passion au service de son développement au niveau professionnel.■